Darons Daronnes

Pendant les vacances, je vous propose de lire des textes qui m’ont été envoyés par des lectrices et des lecteurs de « Darons Daronnes ». Des récits forts et singuliers autour de leur vie de parents. Aujourd’hui, Justine, qui vit à Machecoul-Saint- Même (Loire-Atlantique) avec son compagnon, Vincent. Ils ont deux enfants, un garçon de presque 5 ans et une fille de 18 mois. Les ajouts entre crochets sont de
moi.

« Je voudrais réagir à votre newsletter intitulée “Comment font les parents face à l’impensable ?”, avec un peu de retard certes, mais c’est le temps qu’il m’a fallu pour mettre au clair les émotions qu’elle a suscitées en moi, notre fils ayant connu six semaines de réanimation néonatale à Nantes, en 2020.

Si on commence à parler de plus en plus des services de réanimation néonatale (en tout cas j’en ai l’impression, mais peut-être est-ce juste ma vigilance à ce sujet qui a augmenté depuis que nous avons été concernés), on ne parle quasi jamais
de ces autres endroits, à la fois très proches et très distincts des hôpitaux, mais qui font une telle différence pour les parents : les maisons des parents.

Comme tout le monde, j’avais vaguement aperçu de timides appels aux dons, ou des cagnottes chez McDonald’s, mais jamais je n’avais vraiment pris conscience de ce que sont ces endroits ni de ce qu’il s’y passe. “Permettre aux parents d’être proches de leurs enfants hospitalisés”… Ah oui, c’est vrai que ça doit être mieux, pensais-je vaguement à l’époque, sans aller plus loin.

Et pourtant !

Ce sont en général de petits bâtiments anonymes à proximité des hôpitaux, des havres que des salariés ou des bénévoles entretiennent avec application, qu’ils tentent de rendre chaleureux, et dans lesquels ils travaillent à créer du lien pour des parents souvent hagards, aux yeux cernés et aux larmes faciles, et dont l’équilibre mental est si fragile.

[Ces lieux, dont l’appellation officielle est maison d’accueil hospitalière, sont principalement gérés par des associations à but non lucratif ; il en existe une quarantaine en France, regroupées au sein d’une fédération. Près de 50 000 personnes y sont accueillies chaque année par 500 bénévoles et des salariés. Cette offre est complétée par des fondations privées, comme la Fondation Ronald McDonald, réservée aux parents d’enfants malades.

Ces structures sont généralement destinées aux familles de condition modeste, dans l’impossibilité d’assumer les frais à l’occasion des visites à leurs enfants et à leurs proches hospitalisés loin de chez eux. Elles accueillent aussi des adultes en pré- et posthospitalisation.

Les maisons proposent des frais d’hébergement faibles, modulés selon les revenus : “Entre une dizaine et une cinquantaine d’euros par nuitée, petit déjeuner compris”, explique la déléguée générale de la fédération, Agnès Rosiek, qui insiste sur “la mission d’hospitalité et d’écoute” de ces lieux, qui ont une approche non lucrative. Les maisons sont financées en partie par une dotation de la Caisse nationale d’assurance-maladie, par le biais d’un fonds social, en partie par des partenaires privés institutionnels, des fondations, et par le don.]

Dans une maison des parents, on peut être hébergés à quelques minutes à pied de la chambre de notre enfant et rester pleinement disponibles pour lui ou elle. Contre une contribution financière modeste, on a accès en général à une chambre, à des commodités partagées, comme une cuisine, des frigos (si pratique pour stocker le lait maternel tiré comme un sacerdoce par une partie des
mamans), et une salle à manger.

Je me souviens distinctement avoir haï cet endroit de toutes mes forces lorsque nous y avons trouvé refuge, d’avoir vécu presque comme une gifle d’entendre d’autres parents rire en faisant la cuisine (comment pouvait-il encore y avoir de la
joie dans le monde alors que mon fils était entre la vie et la mort ?), et pourtant d’avoir ri avec ces mêmes personnes à mon tour, quelques jours plus tard.

Car au milieu du chaos, de la trouille qui empêche de penser à demain et des nuits sans sommeil, réchauffer puis partager une boîte de ratatouille permet de maintenir un semblant de normalité. Discuter avec d’autres personnes qui vivent un drame semblable au vôtre et qui ne sont pas gênées par vos larmes, car les mêmes leur échappent, ça change tout. Ça permet de se dire qu’on est normaux, de recevoir des conseils, de s’entraider, de partager des téterelles pour les tire-lait, d’organiser un jogging défouloir pour aller vider le trop-plein d’énergie avant de retourner s’enfermer dans une chambre blanche et austère, animée uniquement par les bruits incessants des moniteurs…

Parfois, il s’agit juste de pouvoir râler à propos de médecins ou d’infirmières, dont on sait qu’ils font un travail extraordinaire mais qui, ce jour-là, ont pu être maladroits, ou sur nos familles à l’extérieur, souvent pleines de bienveillance, mais qui ne peuvent pas comprendre l’indicible de ce que l’on vit. Avec personne d’autre que les familles rencontrées dans la maison des parents de Nantes, je n’ai pu parler aussi naturellement de la façon de rebrancher les électrodes après le bain, ou rire de l’angoisse ridicule de voir le nez de mon fils finir déformé par la sonde naso-gastrique.

Je voudrais que l’on parle aussi de ces lieux-là, qui contribuent littéralement à sauver les vies des enfants aussi bien que de leurs parents. Des endroits qui vivent de la générosité publique, de plus en plus rare, et des dons des particuliers, qui sont malgré tout insuffisants pour leur permettre de finaliser les budgets. Des endroits qui n’ont l’air de rien, mais qui sont tout pour ceux qui en ont besoin,
même brièvement.

Peut-être qu’en les faisant connaître, ils cesseront d’être aussi fragiles, et plus de parents pourront y avoir accès. Il y a eu peu de consensus médical lors du passage chaotique de notre fils à l’hôpital, mais il y en a un qui mettait tout le monde d’accord : la présence des parents est un soin pour l’enfant, au même titre que les actions des soignants. Cela devrait être un droit sacré pour tous nos
enfants. »

 

Article Le Monde 29 10 2025.